Marie-Luise Sherer – Les chiens du rideau de fer
Préface de Paul Nizon
Traduction de Matthieu Dumont
Editions Actes Sud
Prix : 13 € – ISBN : 978-2-330-03713-0 -Parution : 5 novembre 2014 – 93 pages
Le couloir de la mort s’étirait à l’intérieur de la zone réglementée, un espace presque uniquement peuplé par des chiens, jalonné de miradors et de champs de mines, bordé de clôtures hérissées qui séparaient l’ex-RDA de l’Ouest libre. Atrocement isolés et attachés par leurs laisses à des câbles, ces chiens parcouraient leur tracé en plein soleil ou par grand froid, jusqu’à la folie. Dans le texte qu’on va lire, ils sont les représentants du territoire décrit et de l’animation qui lui fut propre, ce sont eux qui mettent à jour la mentalité politique qui y est associée, et qui se distingue par son enfermement, son repli, son besoin de surveillance, de répression, son étroitesse d’esprit nauséabonde. Ainsi que par une population de militaires de carrière orientée vers la formation de chiens de garde qui cherche à échapper à son ennui mortel par un affairisme occulte et quasi illicite. Et pourtant, dans cette société peu reluisante, le lecteur rencontre des personnes qui, seules ou entourées d’une famille, sont animées par des sentiments, des goûts et des dégoûts […], bref, il s’agit là, en dépit de toute cette misère, d’un matériau romanesque voire dramatique. Et la façon proprement époustouflante dont Marie-Luise Scherer s’empare de ce matériau dépasse de beaucoup la portée d’un simple documentaire factuel. […] Reste la question suivante : comment Marie-Luise Scherer est-elle parvenue à une connaissance aussi intime et exhaustive de cet univers ? Je pense qu’elle s’y est prise à la manière d’un naturaliste et d’un explorateur. Il est certes évident qu’un tel niveau de savoir est le fruit d’un vaste chantier de recherches, d’une fouille intensive, rendus possible à l’époque par le magazine pour lequel Scherer écrivait ses reportages littéraires hors normes, le Spiegel. Qu’est-ce qui, dans cette entreprise de longue haleine, a bien pu l’aiguillonner, la motiver ? C’est sa curiosité pour la VIE, accompagnée d’une insatiable soif de savoir. Et, dans ce cas précis, cela vient aussi de sa profonde compassion pour les chiens. Dans le domaine du reportage, Marie-Luise Scherer est reconnue comme un auteur de tout premier plan. Or il serait dommage de la cantonner dans les bornes de ce genre. Car sa prose incomparable outrepasse ce cadre, tant les histoires qu’elle puise dans le quotidien arborent les traits de la grande littérature.
En Allemagne, Marie-Luise Scherer a publié plusieurs recueils de ses reportages et enquêtes, tous acclamés par la presse et jouissant d’une très grande renommée. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions : en 1994, le prix Ludwig-Börne, en 2008, le prix Italo Svevo, en 2011 le prix Heinrich Mann et, en 2012, le Grand prix de la culture du Saarland. L’Accordéoniste (Actes Sud, 2010) a été d’abord publié dans la prestigieuse collection de Hans Magnus Enzensberger. Ses enquêtes l’ont menée dans de nombreux pays, toujours à la recherche de destins emblématiques. A travers la vie ordinaire d’êtres humains ou d’animaux est ainsi dévoilée l’essence même de notre temps.