Les Editions Actes Sud viennent de publier un ouvrage de Luca Ricci, « Obsessions d’automne ». Non sans rappeler l’atmosphère des romans de Guy de Maupassant, l’auteur nous présente, à travers un prisme fantastique et de façon factuelle, la complexité de vivre en couple. Avec en toile de fond la ville mythique de Rome, l’auteur nous propose un un véritable OVNI littéraire… Découvrez notre entretien avec son auteur !
© D.R
- Comment vous est venue l’idée d’écrire une histoire tirée d’une histoire précédemment écrite ?
La première version de « Obsessions d’automne » est une nouvelle. En général, quand j’écris une histoire, je m’en libère. Dans le cas de cette histoire au contraire je ne réussissais pas à me libérer de l’idée, de l’obsession amoureuse qui pousse le personnage à tomber amoureux, de façon fétichiste, d’une vieille photographie. C’est pourquoi j’ai ressenti l’exigence d’y revenir dessus et le transformer en un roman. Je crois que la nouvelle à la base de « Obsessions d’automne » a influencé l’entière narration qui se prévaut de prérogatives rythmées très rapides, très peu romanesques. C’est intéressant. Au fond le roman qui en soi est un objet polymorphe est le règne d’une constante expérimentation.
- Pourquoi avez-vous cette histoire ? Une histoire particulière, surprenante et fantastique…
L’automne est pour moi le Ghost Writer ? dans le sens que j’ai cherché de me faire suggérer l’évolution dramatique de l’histoire au fil des mois. De la fin septembre à la fin décembre se constitue un « climax » parfait, une disparition implacable de lumière et de chaleur (des romanciers j’aime la technique de la soustraction). A la question plausible du pourquoi je n’ai pas opté pour un « happy end », je pourrais répondre qu’une histoire ne peut pas finir de façon heureuse, elle se termine pendant le solstice d’hiver, c’est-à-dire le jour avec moins de lumière et de chaleur de l’année. Puis bien sûr l’automne est également un élément utilisé dans le roman, c’est un décor et un sujet et un adjectif qualificatif. Plus que les personnages, je crois que l’histoire racontée soit automnale : La misère d’amour à cheval entre le monde des vivants et le monde des morts.
- En lisant votre roman, j’ai pu noté une thématique importante : le couple. Le couple est le foyer pertinent des problèmes qui se présentent à tous. Et comment l’amour se transforme dans le temps… Votre vision semble désespérée. C’est toujours comme ça ? Qu’en pensez-vous ?
Dans “Obsessions d’automne”, on parle d’un amour à travers un désamour. Si on veut c’est l’histoire d’un adultère, c’est pourquoi le rapport conjugal du personnage se délite impitoyablement, l’ennui, le manque de désir. Il y avait pourtant l’envie de s’interroger sur l’amour, sur ce sentiment sous-évalué ou surévaluer selon les cas, peut-être comme ça : l’amour est un sentiment duquel il est impossible de l’évaluer à sa propre valeur, une sorte de maladie. On dit toujours qu’il finit toujours par passer. C’est vrai mais il revient.
- J’ai noté que vous avez utilisé comme points de départ des thématiques typiques des romans de Maupassant, c’est à dire le fantastique et la folie ?
Je ne suis pas un écrivain réaliste, mais cela ne me range par la force des choses dans les écrivains fantastiques. Mes livres sont des études sur l’humain. D’ailleurs, Guy de Maupassant aussi s’est lassé rapidement du naturalisme, de faire des croquis de vie parisienne ou normande et il se consacra entièrement aux hommes et à leurs déviations. De même, ses lecteurs devaient suspendre l’incrédulité, en face à un homme colonisé de créatures invisibles (Le Horla), ou en face d’un flâneur qui un nuit de cauchemars devient l’unique habitant de Paris (La nuit)… Il ne faut presque jamais croire à la réalité, il faut croire presque toujours à la littérature.
- Selon vous, quels sont les avantages de mélanger le fantastique à la réalité ?
En parlant de littérature je ne sais pas m’exprimer en termes « d’avantages ou d’inconvénients ». Seule la nécessité compte de vouloir écrire justement une histoire dans une manière, entre toutes les histoires et les modes possibles. Toutes les narrations, en tant que telles, sont fantastiques, et aussi le réalisme ne se mélange pas à la réalité, c’est seulement un genre littéraire. Je ne veux jamais donner une impression de réalité, mais seulement produire un effet littéraire (pourquoi celle-là est une vérité de la littérature, c’est-à-dire sa nature, est parfaitement fausse)
- Vous pensez que le cynisme est adapté à la vie de couple ?
Cela fait maintenant 20 ans que j’écris sur les couples et sur l’amour. J’en écris de façon assez impitoyable, cherchant toujours des analyses lucides, il n’y a plus la psychologie du XXe siècle mais une dissection d’un paradoxe privée de sentiment. Dans mes livres pour sauver le mariage tout moyen est bon, licite ou illicite. Le personnage central d’« Obsessions d’automne » recommence à éprouver un désir grâce à l’obsession d’une photographie de Jeanne Hébuterne. Je ne sais pas si l’amour existe, l’obsession amoureuse surement : une belle différence. La première est une véritable rencontre avec un autre, la seconde est uniquement une fièvre narcissique. Aimer aveuglement l’amour. Chaque image, au lieu de restituer un sujet, a une fonction diaboliquement réfléchissante, c’est un objet très similaire à un miroir. Dans chaque image, plus que l’autre je vois encore une fois un autre moi, mes désirs, mon état d’âme, mes goûts. C’est une tromperie qui a toujours été depuis que l’homme a commencé à se représenter lui-même, c’est-à-dire à donner son propre simulacre.
- Pourquoi Rome, en toile de fond, représente une ville vide d’expressions et de vie ?
Dans « Obsessions d’automne », Rome est considérée comme une ville universellement connue et répondant aux clichés de carte postale, à savoir une Rome, inhabituelle. Il semble être un paradoxe, mais en réalité les histoires sur la capitale ces dernières années, également à cause des séries TV ont raconté la vie des quartiers populaires et leurs histoires criminelles. Dans « Obsessions d’automne », au contraire il y a l’aspect potentiellement délinquant des personnes honnêtes, il y a l’âme noire des quartiers riches (il apparaît une évocation assez ironique de la banlieue à travers la communauté des peintres bengalais de Tortignattara).
- Quel est votre prochain projet ?
Je viens de finir d’écrire Gli Estivi (en français Cruauté d’été), le deuxième roman de la quadrilogie des saisons. Il ne reviendra pas sur les mêmes personnages, mais sur les mêmes thèmes (amour, désamour, critique du monde culturel, Rome). C’est un projet ambitieux e qui me fait un peu peur. Souvent je me demande : « Et si je ne trouvais plus le sens, la nécessité de poursuivre ? » Pour l’instant tout va bien, raconter le temps est une chose qui me passionne et me bouleverse.